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Une brève histoire du papier et du livre avant l'imprimerie

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Aimer0

Le Trésor de la Langue Française définit le livre par les termes suivants : « Assemblage de feuilles en nombre plus ou moins élevé, portant des signes destinés à être lus ». Quelles matières, quelles techniques de transformation et d'agencement de celles-ci, ont été nécessaires à la réalisation de ce formidable vecteur des productions de l'intelligence humaine ? Quelles sociétés l'ont favorisé ? D'apparence simple et presque évidente pour nous qui y sommes habitués, le livre, lorsque l'on consulte son histoire, comporte pourtant autant de parts d'ombre que d'étonnantes facettes.

Ce qui semble une des essences caractérielles du livre, et même une des conditions préalables au livre imprimé selon Henri-Jean Martin, est son support : le papier. Fin, souple et presque aérien, aisément maniable ; il est résolument moderne en ce qu'il permet à de nombreux individus de saisir du texte et de l'image en se délivrant de la lourdeur des pierres et des métaux, de l'épaisseur des tablettes de cire ou d'argile et de la fragilité des feuilles de palmiers, des lamelles d’écorce de bois ou de bambou, hautement périssables et recevant difficilement l'empreinte des signes. On a écrit sur des os, on s'est satisfait des qualités de certaines peaux, les Grecs usèrent même de leur poterie. Cette recherche d'un support pratique, usuel, peu onéreux, solide et durable, fut longue et problématique.

. Le papyrus

papyrus funéraire, -1550 / -1425 (début XVIIIe dynastie), département des Antiquités égyptiennes du Louvre. © 2003 Musée du Louvre / Christian DécampsPapyrus funéraire, -1550 / -1425 (début XVIIIe dynastie), département des Antiquités égyptiennes du Louvre. © 2003 Musée du Louvre / Christian Décamps.

En Basse-Égypte vers 3100-2700 av. J.C. se confectionnent les premiers rouleaux de papier de papyrus, sorte de grand roseau et « plante à tout faire » des Égyptiens. Ils garderont le monopole absolu de sa production – qui deviendra industrielle aux époques hellénistiques et romaines – durant toute l'Antiquité, dont il sera presque exclusivement le seul support de l'écrit. Flexible et solide, d'un blanc d'ivoire brillant, au toucher soyeux, le papier de papyrus était considéré comme un support luxueux en comparaison des tablettes de cire, d'argile et des peaux.

Pline l'Ancien (23-79 ap. J.C.) disait du papyrus que l'histoire de l'humanité reposait sur lui. Il est, faute de source égyptienne étendue, le meilleur référent pour comprendre comment l'on obtenait ce papier. On coupait la moelle des tiges en longues et minces bandes de pulpe (d'environ 30-40 cm.), ces bandes étaient placée dans le même sens sur une tablette humide, l'on y plaçait alors une autre couche perpendiculairement. La feuille ainsi obtenue était battue puis exposée au soleil. Elle était ensuite lissée au moyen d'un outil d'ivoire, d'une pierre ponce ou d'un coquillage. Ces feuilles étaient enfin collées sur leurs bords de manière à former un rouleau (volumen, « chose enroulée » en latin) d'ordinaire de vingt feuilles, mais en globalement de dimensions très variées suivant les époques et l'usage. On fixait à l’extrémité de la dernière feuille une petite verge autour de laquelle s'enroulait le volume. Les latins lui donnaient le nom d'umbilicus (nombril). Souvent fait d'os ou d'ivoire, ses extrémités étaient chez les romains, pour les livres de luxe, peintes, sculptées ou ornées. Les tranches se nommaient frontes, on les rognaient, puis on enlevait à la pierre ponce les barbes restantes. Elles étaient souvent peintes en couleur.

.Sous l'impulsion de Ptolémée, le papyrus fut introduit en Grèce à partir du IVe siècle av. J.C.. Dès lors, un commerce de la librairie put se développer, particulièrement à Athènes, en même temps que les bibliothèques. De sorte que le livre, au sens où nous l'entendons aujourd'hui, naquit véritablement à partir du moment où, écrit sur un support qui faisait lui-même l'objet d'une production en série, il devint une marchandise. Les œuvres des grands maîtres, qui étaient parfois jalousement gardées à un exemplaire unique par leur disciple, purent alors se diffuser et sortir de l'ombre. C'est sous la gouvernance du même Ptolémée, et de son fils Ptolémée II, que le Museîon (« palais des Muses ») voit le jour à Alexandrie où la bibliothèque, dirigée et alimentée par les meilleurs savants de culture grecque, tient un rôle majeur. On estime qu'à son apogée, dans le courant du IIIe siècle av. J.C., la bibliothèque d'Alexandrie conservait entre ses murs plus de 400 000 volumes.

Plus encore qu'en Grèce classique, l'écrit sera omniprésent à Rome, qui adoptera massivement l'usage du papyrus égyptien. L'édition, la copie – par des esclaves aux compétences très recherchées – et le commerce des livres y seront florissants, dans une société plus largement alphabétisée qu'on se l'imagine. Les grands textes se copiaient parfois à quelques milliers d'exemplaires diffusés dans toutes les villes majeures de l'Empire, où les libraires, gens appréciés, tenaient boutique. Cependant les rouleaux importés comme tribus d'Égypte servaient pour une large part prioritairement l'administration romaine. Ce support bien qu’apprécié restait d'un usage relativement limité et réservé aux élites en dehors du cadre administratif, car rare et cher. On continuait d'écrire une bonne partie de la correspondance et des contrats sur des tablettes de cire (que l'on se renvoyait et réemployait à volonté), d'ivoire ou de bois (dont le plus précieux était le citrus, que l'on s'envoyait en présent), les comptes sur les murs ou sur des ostraca (tesson de poterie) retrouvés aux quatre coins de l'Empire.
Pline nous renseigne sur l'usage de fines feuilles de bronze ou de plomb datant d'avant l'introduction du papyrus en Italie. Et encore avant que cet usage de lames de métal gravés et celui des colonnes de pierre soit rendu courant, c'est le bois qui était favorisé à Rome afin de rendre la loi publique. En effets, elle était gravée sur des planches de chêne blanchies avec de la céruse (que l'on appelaient album), qui étaient alors exposées sur le Forum, devant la maison du pontife.

peinture murale : Calliope tenant un volumen. 62 / 79 (Ie s. ap. J.-C.), Pompéi. Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre. © 2008 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé LewandowskiPeinture murale : Calliope tenant un volumen. 62 / 79 (Ie s. ap. J.-C.), Pompéi. Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre. © 2008 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski.

. Codex et parchemin

Le codex, assemblage de feuilles pliées et cousues, verra le jour vers le Ier siècle de notre ère et vint progressivement remplacer le rouleau. Martial dans ses épigrammes vante cette nouveauté qui permet de faire tenir les quinze volumes des Métamorphoses en un seul livre carré on ne peut plus commode à transporter. Par ailleurs, le codex était écrit des deux cotés de la feuille, chose extrêmement rare avec les papyrus. Il apparaît dans le même temps qu’une nouvelle innovation concurrençant le papyrus : le parchemin (pergamênế, « peau de Pergame » en grec). Cette peau traitée de mouton, de chèvre ou parfois de veau, deviendra peu à peu le support essentiel du livre du début de notre ère jusqu’au IXe siècle au Proche-Orient, et s'imposera durant tout le Moyen Âge en Occident, alors que les voies de communication avec l'Égypte se désorganisaient. Selon la tradition antique, Ptolémée V Épiphane, roi d'Égypte, jaloux de l'essor de la bibliothèque de Pergame fondée par le roi Eumène II (197-155 av. J.C.) décida d'y prohiber l'exportation de papyrus et stimula involontairement le perfectionnement de l'art d’apprêter les peaux. Afin de fabriquer du parchemin, il faut d'abord décharner les peaux, les épiler et les poncer, puis elles sont lavées et trempées dans des bains de chaux et enduites. Le vélin, fait à partir d'un animal mort-né, se distingue par sa souplesse, sa minceur et l'absence de pointes provoquées par l'enlèvement du bulbe pileux de la peau des adultes. Le parchemin présentait pour l'Occident quelques avantages majeurs, il le libérait de la dépendance au Moyen-Orient alors que les exportations de papyrus étaient notoirement insuffisantes ; et il était surtout beaucoup plus à même de défier le temps, résistant bien mieux que n’importe quel autre support à l'humidité et aux aléas. Cependant il n'était qu'un palliatif, assez coûteux en bêtes, requérant une certaine technicité ; il ne pouvait suffire qu'en une époque où l'usage de l'écrit se trouvait singulièrement réduit. Alors que le pouvoir mérovingien en faisait un usage encore notable, le papyrus cessa d'être utilisé en Europe à la conquête de l'Égypte par les Arabes vers le second tiers du VIIe siècle, sauf par la chancellerie pontificale qui aurait usée de papyrus sicilien jusqu'au XIe siècle. Les Arabes employèrent le papyrus égyptien jusqu'à sa disparition dans le courant du Xe siècle : en effet, depuis deux siècles déjà un nouveau support se diffusait dans le califat abbasside...

Augustinus Hipponensis, Quaestiones et locutiones in Heptateuchum. VIIIe s. Nord de la France (Laon?). Minuscule mérovingienne. Parchemin. Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits. Latin 12168.Augustinus Hipponensis, Quaestiones et locutiones in Heptateuchum. VIIIe s. Nord de la France (Laon?). Minuscule mérovingienne. Parchemin. Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits. Latin 12168.

. Le papier, de la Chine à Bagdad

Il est fait mention pour la première fois du papier chez les auteurs arabes en l'an 30 de l'Hégire (650 ap. J.-C.). Ce produit est alors signalé à Samarcande comme étant une importation chinoise. Une révolution décisive se prépare. Pour en comprendre l'origine, il faut remonter quelques siècles plus tôt en Chine.

Les Chinois, lettrés et calligraphes par excellence qui écrivaient déjà sur de la soie et maîtrisaient parfaitement la confection de l'encre, développèrent entre le Ier siècle av. J.C. et le Ier siècle ap. J.C. l'art de fabriquer du papier de cellulose à partir des fibres de diverses plantes, comme d'abord le chanvre, le jute, le lin ou la ramie. Les fibres libériennes de différentes variétés de mûriers apparaissent dans les papiers du début du Ve siècle, tandis que l'utilisation du bambou est attestée dès la fin du VIIIe siècle. Le plus souvent, plusieurs fibres sont associées dans la pâte et diverses substances végétales, ou animales, sont ajoutées pour donner au papier finesse, résistance et lustre. Les textes citent le rotin, la paille, l'hibiscus, la cendre ou encore le santal bleu qui confère au xuanzhi, le « papier de Xuan » ses qualités de blancheur et de finesse que louent calligraphes et peintres. Dès le début du Ve siècle, les papiers portent les traces – vergeures et lignes de chaînette – d'une forme mobile faite d'un cadre de bois et d'un treillis de bambou. Elle remplace la forme originelle, une simple étoffe fixée à un cadre de bois. Ce savoir-faire papetier s'exporta rapidement en Corée, où l'on fabriquait du papier de la meilleure qualité et où l'on trouvera plus tard les premiers caractères mobiles d'imprimerie en métal. Puis au Japon vers le VIIe siècle où les techniques de confection du papier de mûrier y seront perfectionnées avec soin et maîtrisées de manière exceptionnelle. Il faut toutefois garder à l'esprit qu'il n'y avait pas de standard, tant le papier était répandu dans ces sociétés et servait à différents emplois. Tous les papiers ne se valaient pas, et leur qualité correspondait à leur usage.

Rappelons brièvement les étapes du processus de fabrication du papier. La matière première désirée, après sa coupe et éventuellement son rouissage, est lavée et décortiquée manuellement. Les fibres sont ensuite mises à macérer, elles sont hachées, bouillies, puis sont broyées à l'aide d'un pilon actionné à la main (plus tardivement au pied, puis par la force d'un courant d'eau actionnant un moulin), plusieurs rinçages peuvent intervenir entre chaque étape. La pâte alors obtenue est plongée et mélangée dans un grand bain d'eau très pure dans lequel l'on passe une forme, sorte de grand tamis rectangulaire : plus l'on plonge profond plus le papier sera épais. Par un habile mouvement de va-et-vient l'eau est expulsée de la forme ; de la cellulose, répartie harmonieusement, est obtenue la feuille. Les feuilles sont empilées et comprimées sous une presse afin d'en extraire au maximum l'humidité, puis elles seront mises à sécher individuellement au soleil sur de grands panneaux de bois. Le papier était enfin poli à l'aide d'une pierre d'alun, qui lui conférait vernis et éclat et l’empêchait surtout de boire l'encre. Ces phases sont décrites et illustrées dans une fameuse encyclopédie des techniques du XVIIe, le Tiangong kaiwu.

D'après les historiens arabes il ressort que la fabrication du papier fut introduite à Samarcande à la suite d'une bataille majeure, la bataille du fleuve Talas (en l'an 133 de l'H., soit 751 ap. J.-C.) dans laquelle les Arabes alliés du Khan de Taschkend battirent les Chinois alliés d'une autre tribu du Turkestan, et les poursuivirent jusque vers les frontières du Céleste Empire en leur faisant de nombreux prisonniers. Ce furent ces prisonniers chinois qui, amenés en esclavage à Samarcande, ville conquise en 712, y pratiquèrent pour la première fois la fabrication du papier. Pendant assez longtemps, cette industrie vraiment chinoise se maintint monopolisée à Samarcande, grâce au secret dont sa fabrication était entourée. Mais le produit, connu plus tard sous le nom de papier de Samarcande ou du Khoraçan et célèbre dans le monde musulman, témoigne d'une évolution notable sur l'invention chinoise : il est fait de chiffons. De nombreuses citations d'auteurs arabes parlent de papier de toile (el-Kattân). L'industrie du papier de chiffe, exercée à Samarcande, ne tarde pas à être transplantée à Bagdad, la capitale du califat, vers l'an 795 ap. J.C.. De là, et dès lors, l'industrie papetière se répand et s'établit dans les principales provinces du monde musulman. Après Samarcande et Bagdad, dont les nombreuses bibliothèque font la réputation, vient Tihâma sur la côte sud-ouest de l'Arabie, le Yémen avec la célèbre ville de Sana, puis l’Égypte. Les papiers du Caire étaient déjà réputés à la fin du Xe siècle et un voyageur persan (Nâsiri Chosrau) de la première moitié du XIe siècle s'extasie sur ce que les marchands du bazar y emballent toutes les marchandises qu'on leur achète dans du papier. Les matières premières employées par les Arabes pour la fabrication de leur papier sont, à côté des chiffons de lin et de chanvre, les vieux cordages qui furent longtemps employés à cet usage et le bambou, bien connu et employé des Arabes (surtout en Perse et en Égypte). Comme en Asie, on produit finalement de multiples types de papiers destinés à de nombreux usages et plus particulièrement toutes sortes de papiers préparés, teints ou spécialement décorés, dont certains furent d'une splendide finesse et destinés aux meilleurs calligraphes.

Ce nouveau support au bon rapport qualité-prix bouleversa définitivement les sociétés qui y touchèrent. Son usage courant servit conséquemment les administrations, les commerces, les arts et les sciences. Les pouvoirs chinois, coréens, japonais et musulmans lui doivent une part de leur magnificence, et bientôt c'est l'Europe pré-renaissante qui va s'en saisir.

ange à tête et à buste de cheval bicéphale et au tronc de serpent, 'Ağayib al-maḫlūqāt va ġarayib al-mawğūdāṭ‛. 1388, probablement à Bagdad. Ecriture persane. Papier oriental vergé ivoire. Bibliothèque nationale de France. Département des manuscrits. Supplément Persan 332.Ange à tête et à buste de cheval bicéphale et au tronc de serpent. Muḥammad b. Maḥmūd b. Aḥmad Ṭūsī Salmānī,'Ağayib al-maḫlūqāt va ġarayib al-mawğūdāṭ‛. 1388, probablement à Bagdad. Ecriture persane. Papier oriental vergé ivoire. Bibliothèque nationale de France. Département des manuscrits. Supplément Persan 332.

. L'apparition du papier en Europe

On l'a vu, les Musulmans ont pris une part active à l'emploi et à la diffusion du papier. Il sera introduit en Espagne dès le XIe siècle. A la suite de la Reconquista, des papetiers juifs perpétueront leur savoir faire, notamment à Xativa. Mais c'est véritablement au XIIe siècle qu'apparaissent en Italie, à force d'échanges marchands avec les Musulmans, les premiers moulins à papier, notamment à Fabriano. Le papier joua d'abord le rôle d’ersatz du parchemin, de bien meilleure tenue, mais présentait l'avantage de pouvoir être employé aux documents ne nécessitant pas une longue conservation, tels que les lettres, les comptes et les brouillons. C'est donc avec méfiance que les chancelleries, les ordres religieux et les universités considérèrent ce fragile support venu d'Orient qui se vu même parfois frappé d'interdit pour la rédaction d'actes et écrits importants. Mais deux évolutions majeures dans sa fabrication allaient favoriser sa diffusion. En effet on arrivait peu à peu dans les moulins de Fabriano et ses environs à produire un papier de meilleure qualité et moins coûteux, grâce au remplacement de l'antique meule utilisée pour le broyage par les Arabes par un système de battage alternatif au moyen de gros maillets, les lèves. Cette nouvelle technique d'ordre significatif, qui avait auparavant bouleversée d'autres pans de l'industrie depuis son développement au XIe siècle, sera progressivement adaptée et améliorée. Second fait notable, l'usage croissant du lin et du chanvre comme matière première de confection des tissus, rendant les chiffes moins coûteuses. Ainsi Fabriano fut jusqu'au milieu du XIVe le premier centre de production industrielle de papier européen et exportait ses productions dans tout le continent. On y maîtrisait l'art d’apprêter et de satiner le papier, et on y vit apparaître les premiers filigranes, la discrète marque de fabrique des papetiers. Dans la seconde moitié du siècle, des artisans, peut-être à l'appel d'investisseurs, vinrent s'installer dans les environs de Gênes et de Venise, formant deux nouveaux centres importants. Dans le même temps les marchands italiens n'avaient de cesse de vendre ce nouveau produit à travers toute l'Europe, et bientôt le papier s'imposait face au parchemin. On trouvait à la fin du XIVe siècle des dépôts de papier dans toutes les grandes villes et de nombreuses chancelleries en faisaient déjà couramment l'usage. Au XVe siècle la production de papier s'était diffusée hors d'Italie, sous l'impulsion des marchands italiens soucieux de réduire leur coûts de transport et face à la demande croissante, on voit apparaître de nouveaux moulins dans le Sud de l'Allemagne et en France, dans les environs de Paris, en Auvergne, et principalement en Champagne. À l'aube de l'imprimerie, bien que la majorité de l'Europe reste encore dépendante des exportations italiennes, le papier a réussi à largement se propager et les préjugés qu'on lui portait achevaient de disparaître.

Le moulin à papier. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers…, Denis Diderot ; Jean Le Rond d’Alembert, 1751-1780. BnF, département de la Réserve des livres rares.

Le moulin à papier. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers…, Denis Diderot ; Jean Le Rond d’Alembert, 1751-1780. BnF, département de la Réserve des livres rares.

. Le papier d'amate

Hormis la lente transmission ponctuée de soubresauts hasardeux, longue d'un millénaire, qui s'établit de la Chine à l'Europe, il faut considérer une autre occurrence tout à fait originale de maîtrise du papier. En Mésoamérique, le papier d’amate (du nahuatl amatl, papier), fut fabriqué en quantité par les Mayas, les Aztèques et leurs tributaires zapotèques et mixtèques jusqu’à l’époque de la Conquête (1519-1546).
Attendrie par cuisson à petit feu pendant plusieurs heures, dans de l’eau additionnée de cendres, la fibre du liber de diverses variétés de figuiers était disposée en bandes croisées sur des planches de bois pour être frappée manuellement à l’aide de battoirs en pierre. Lorsque les fibres étaient amalgamées en une nappe homogène, les planches étaient placées au soleil pour séchage de la feuille de papier, qui pouvait ensuite être préparée à recevoir l’écriture.

Extrêmement rares sont les documents sur papier d’amate qui ont survécu à l’entre-déchirement et au déclin des peuples mésoaméricains, puis aux destructions massives et systématiques des prêtres espagnols. Ces manuscrits pliés en accordéon ou cousus en codex, parfois aussi faits en peau de daim chez les Mixtèques par exemple, contenaient un assemblage très structuré et complexe de glyphes et d'illustrations polychromiques. La science et l'usage des codex étaient réservés à une élite de scribes peintres (tlacuiloani) tenue en grande estime dans les anciennes sociétés mésoaméricaines, au même titre que les maîtres graveurs et sculpteurs. Ces codex servaient à l'administration, à la transmission de l'histoire et des mythes, à l'astronomie, aux prédictions et aux cultes religieux, ainsi qu'a la rédaction de poèmes. On en trouve les plus beaux exemples parmi ceux issus des cultures maya (Codex de Dresde) et plus tardivement, mixtèque et aztèque (Codex Borbonicus).

Sources :
BLUM (André). La Route du papier. Éditions de l'Industrie Papetière, Grenoble, 1946.
BRIQUET (Charles-Moïse). Le papier arabe au Moyen Âge et sa fabrication. Berne, Suter & Lierow, 1888.
DRÈGE (Jean-Pierre). Le papier dans la Chine impériale: Origines, fabrication, usages. Paris, Les Belles Lettres, 2017.
FEBVRE (Lucien) et MARTIN (Henri-Jean). L'Apparition du livre. Paris, Albin Michel, 1958.
MARTIN (Henri-Jean). Histoire et pouvoirs de l'écrit. Paris, Librairie académique Perrin, 1988.
essentiels.bnf.fr

Pour le papier d'amate :
SOUSTELLE (Jacques). L'Art du Mexique Ancien. Paris, Arthaud, 1966.
famsi.org
mayacodices.org

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